Voltaire, l’imposteur : éclipses auctoriales et esprit frappeur

Dossier  « Impostures », no 40

S’intéresser à l’imposture chez Voltaire est comparable à la démarche du chercheur d’or qui croit trouver une pépite et réalise qu’il est assis sur une mine. En effet, l’auteur, en raison d’un contexte social évident, n’a de cesse de se cacher derrière son œuvre sulfureuse et de multiplier les masques énonciatifs qui recouvrent d’une gaze sarcastique l’auteur réel. La majorité de la production voltairienne a donc été publiée anonymement, comme l’a notamment montré André Magnan[1], et la paternité n’est assumée que pour très peu d’écrits, l’auteur ne souhaitant visiblement plus goûter aux joies de l’incarcération. On le voit parfois jouer les naïfs dans sa correspondance pour récolter sans en avoir l’air l’avis de ses lecteurs et amis[2]. Le nom même porté par l’écrivain diffère de son patronyme et il multiplie les pseudonymes (parfois même au sein d’une même œuvre) derrière lesquels il avance masqué. Il fut par ailleurs occasionnellement l’écrivain fantôme d’une jeune génération, à laquelle il prêta sa plume en échange d’un nom: le Commentaire historique remarque que Voltaire laissa à MM. Linant et Lamare le bénéfice de l’Enfant prodigue en 1736, qu’il ne publiera sous son nom qu’à partir de 1738. Ce grand écran de fumée orchestré par un Voltaire tantôt inquiet des conséquences d’une trace écrite, tantôt plaisantin, génère un brouillard qui l’enveloppe et peine parfois à se dissiper, au point qu’on se demande encore aujourd’hui s’il est ou pas l’auteur de certains textes ; le fait qu’il les ait désavoués à cor et à cri n’est pas un gage de fiabilité. Pour couronner le tout, le style de l’auteur a été abondamment imité, pastiché, parodié. La question “Qui écrit?” est donc incontournable, de ses fictions narratives à sa biographie, en passant par la littérature d’idées.

I. L’auteur postiche mis en scène de manière ludique : Voltaire-Protée

Si on commence par s’intéresser à son œuvre de fiction, et plus particulièrement aux trois contes qu’affectionnent les professeurs de lycée (Zadig, Candide et l’Ingénu) et par les pages desquels on « entre » souvent dans Voltaire à l’adolescence, on voit que ce dernier ne ménage pas sa peine pour se faire oublier. Pour Zadig ou la Destinée (1748), on pourrait parler de narration de « seconde main », l’auteur étant présenté comme inconnu. L’épître dédicatoire est en apparence assumée par un certain Saadi, poète persan auteur du Gulistan, qui a vécu à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe. Mais on apprend dans cette lettre élogieuse destinée à la sultane Sheraa qu’il n’est que le traducteur de l’ouvrage et qu’il lui offre « la traduction d’un livre d’un ancien sage […] » qu’il ne croit pas nécessaire de nommer. Le ton fantaisiste de l’épître dédicatoire, la confusion volontaire entre l’auteur affiché et le personnage − favorisée par la paronomase Saadi/ Zadig − et le style amphigourique pastichant celui de la Bible[3] (n’apprend-on pas que Zadig fut d’abord écrit en ancien chaldéen?) sont autant de signaux d’alerte envoyés aux lecteurs et lectrices pour les prévenir que la fiction commence bien avant le premier chapitre : le titre, qui annonçait du reste une « histoire orientale », l’approbation et l’épître dédicatoire sont les portes d’entrée par lesquelles ils et elles pénètrent dans le monde fictionnel. Au lectorat cultivé de les décoder et de voir, s’il le souhaite, dans cette sultane la favorite de Louis XV, madame de Pompadour, protectrice (du moins à cette époque) de Voltaire. 

C’est de traduction qu’il est aussi question pour Candide ou l’Optimisme (1759), comme l’indique la mention « Traduit de l’allemand de M. le docteur Ralph. Avec les additions qu’on a trouvées dans la poche du docteur, lorsqu’il mourut à Minden, l’an de grâce 1759 ». Mais dans cette variation autour du topos du manuscrit trouvé, c’est le traducteur présumé, et non l’auteur prétendu, qui est laissé dans l’ombre. De même, toute recherche sur le docteur Ralph s’avérera infructueuse et la coïncidence entre sa mort et la date de publication du conte laisse penser que cette dernière l’a englouti : son existence éventuelle est posée, mais pour être curieusement anéantie dans la foulée. L’Ingénu (1767) est quant à lui sous-titré « histoire véritable, tirée des manuscrits du père Quesnel ». L’adjectif « véritable », censé cautionner l’authenticité de ce récit, suscite d’emblée le scepticisme du public ; son auteur putatif, un théologien janséniste, vient confirmer cette intuition. La mention « tirée des manuscrits » laisse le lecteur ou la lectrice dans le flou : tirée par qui ? Comment la sélection a-t-elle été opérée par ce philologue inconnu ? Autant de mystères qui planent sur la paternité de ces trois contes philosophiques. Néanmoins, le public ne cherche pas vraiment à les résoudre, car il est déjà emporté dans la fiction : Mary Galbraith a souligné dans une logique hamburgerienne que « le lecteur ne se pose jamais la question de savoir comment un narrateur fictionnel a pu avoir connaissance des faits »[4] et c’est, il nous semble, ce qui est à l’œuvre ici. 

Cette nébulosité autour des auteurs esquisse donc un mouvement paradoxal qui consiste à les mettre en scène pour ensuite les faire voler en fumée. Ce canular dont les effets se dissipent très rapidement pointe nettement vers celui qui se dissimule maladroitement, l’illusionniste et véritable auteur, qui fait retentir un nom pour en faire entendre un autre, comptant sur la sagacité du lectorat pour lever l’imposture et le débusquer. L’objectif de ces coïonneries, pour reprendre l’expression de Voltaire, est clairement défini par le plaisantin : divertir un public cultivé qui n’est pas dupe et qui se laisse volontairement prendre à ce jeu inoffensif car, comme le rappelle Nathalie Kremer, 

Telle est la situation idéale devant laquelle nous place la fiction, en offrant à ses lecteurs le plaisir de connaître, toutes cartes en mains ou presque, des situations d’impostures aussi parfaites qu’inoffensives, puisqu’il est bien à l’abri derrière son livre des pièges auxquels succombent les victimes imaginaires. (Kremer, 2013).

Ces auteurs de papier présentés comme authentiques assurent la transition entre la réalité palpable des lectrices ou lecteurs et l’univers fictionnel qu’ils sont invités à rejoindre, dans le cadre d’une narration forcément indigne de confiance. Le pacte de lecture de ces lignes préliminaires est accepté d’autant plus facilement que ces derniers pressentent que naîtront de l’invraisemblable des leçons philosophiques annoncées sans ambiguïté par les sous-titres et par l’ironie percevable dans les titres honorifiques des auteurs imaginaires. Les trois fictions narratives sont donc conformes aux horizons d’attente d’un public qui n’est pas dupe et signe les yeux volontairement fermés le pacte de lecture. La question de l’imposture auctoriale se posera a contrario d’une manière plus prégnante dans la littérature d’idées et de combat.

II. Le faussaire : Voltaire contrebandier

Si le lectorat instruit de ces courts récits n’imagine à aucun moment être confronté à une histoire vraie composée par l’auteur mentionné, il est peut-être beaucoup plus dubitatif quant à une œuvre comme l’Extrait des sentiments de Jean Meslier (1762). Il lui apparaissait farfelu qu’un père Quesnel, janséniste[5], pût composer un petit roman ; mais que Jean Meslier ait pu écrire un texte polémique anti-chrétien de cette teneur … c’était curieux, mais pas ahurissant[6]. D’autant que le curé Meslier, mort en 1729, laissa réellement un Mémoire volumineux à l’adresse de ses paroissiens, pour s’excuser d’avoir feint des sentiments religieux et prêché la religion catholique dans sa paroisse d’Etrepigny alors qu’en son for intérieur, il la désavouait, dénonçant les arrangements entre religion et pouvoir et les injustices sociales qui en découlaient. Ce Mémoire avait circulé peu après la mort du curé, sous l’impulsion du comte de Caylus, et une centaine de copies s’étaient propagées de manière confidentielle et clandestine dans les cercles libertins, qu’il séduisit par son athéisme. Voltaire s’y intéresse à partir de 1735 et on sait qu’il en demande à Thieriot un exemplaire que ce dernier lui fera parvenir à Cirey. Sa lecture l’électrise et il écrit dans une lettre à Mgr le Prince de ****, datée de 1767 : « Le curé Meslier est le plus singulier phénomène qu’on ait vu parmi tous ces météores funestes à la religion chrétienne »[7]. Marc Hersant émet l’hypothèse que ce Mémoire fut un réservoir dans lequel il put puiser de nombreux arguments pour l’ensemble de ses textes antichrétiens[8]. Dans la même lettre, Voltaire qualifie l’ouvrage de « triste et dangereux monument ». S’il est enthousiaste face au démantèlement méthodique du dogme chrétien et aux attaques contre le sacré, il est beaucoup plus embarrassé par son athéisme[9], d’une part parce que cela entre en conflit avec ses propres convictions officielles, d’autre part parce qu’il en conteste la dédicace aux paroissiens : « Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savaient pas lire ? Et, s’ils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? », écrit-il à Mgr le Prince de ****. Il pense à la nécessité d’une « religion bien épurée », naturelle, comme rempart face au crime, « un frein dont le peuple a besoin »[10].

C’est en 1762 qu’est publié anonymement l’Extrait des sentiments de Jean Meslier, adressés à ses paroissiens sur une partie des abus et des erreurs en général et en particulier, dans le contexte de l’affaire Calas et de la lutte personnelle de Voltaire, déiste, contre l’Infâme[11]. Il est à noter que cette édition et les suivantes, augmentées d’un abrégé de la vie de Jean Meslier qui requalifie l’œuvre du curé en testament (« Par son testament il a donné tout ce qu’il possédait… ») assureront la notoriété du curé et serviront de référence aux publications postérieures. Bien que présenté comme un ensemble de morceaux choisis de ce Mémoire singulier, et donc identifié par l’éditeur et le public comme emprunté par bribes à Jean Meslier, ce texte est une mystification. « Voilà le précis exact du Testament in-fol. de Jean Meslier […] » : c’est sur ces mots parfaitement mensongers qu’il s’achève. L’exactitude est toute relative, car ce précis en réalité relu et corrigé par Voltaire, a subi de multiples transformations, à commencer par le style, sur lequel nous ne nous étendrons pas. Nous signalerons toutefois que l’auteur s’en justifie dans sa correspondance avec ce qui ressemble à un mépris de caste : l’original est à ses yeux « écrit du style d’un cheval de carrosse, mais qu’il rue bien à propos »[12] ou « le style est très rebutant, tel qu’on devait l’attendre d’un curé de village ». [13] Mais les changements apportés ne touchent pas tant la forme que le fond, au point de dénaturer la pensée révolutionnaire de Meslier, perçu aujourd’hui comme un représentant des Lumières radicales avant l’heure[14] et adulé par les régimes d’obédience communiste[15]. Alain Sandrier souligne que

[l]e Testament que Voltaire édite trahit son véritable auteur, sans doute en suivant une tradition manuscrite antérieure : Voltaire ampute l’œuvre de trois « arguments » sur huit, soit les trois quarts de son volume et le curé athée communiste devient déiste. Ne reste que l’attaque anticléricale. (2009, 133).

A laquelle il faut ajouter la critique virulente des textes sacrés. Voltaire touche donc à la structure du Mémoire et à son organisation interne en opérant une sélection de morceaux choisis à des fins personnelles[16]. Les extraits des chapitres retenus tentent de démontrer par des preuves la « fausseté de la religion » en relevant toute une série d’erreurs dans la doctrine et dans les textes sacrés. Le but était de donner à entendre, en pleine affaire Calas, une autre voix que la sienne, concordante, afin de dénoncer le fanatisme religieux et d’amener tout un chacun à sa condamnation. Exhumer le Mémoirede Meslier, c’était donner plus de force encore à son propos, en montrant qu’il était partagé par un plus grand nombre. Marc Hersant a mis en évidence cette stratégie oratoire dans la construction de la littérature de combat du patriarche de Ferney[17] :

Dans les années 1760 et 1770, presque chacun de ses pamphlets invente un nouvel énonciateur postiche et, dans les œuvres alphabétiques, les ruses déployées par l’écrivain pour donner l’impression d’un ouvrage collectif créent un effet de kaléidoscope qui ne tient pas seulement à la variété des attributions (ou des absences d’attribution) des articles, mais aussi à la variété des styles et, dans une certaine mesure, des points de vue présentés. Contrairement à Rousseau, homme par excellence de la signature dont chacun des écrits principaux brandit comme un flambeau l’identité héroïque et unitaire, Voltaire essaime à travers mille noms réels, empruntés, détournés, inventés. Il s’agit, d’une part, et évidemment, de se protéger le plus possible des attaques et de la justice, d’autre part de donner l’impression (« Je suis Légion ») d’une multiplicité combattive, d’une « armée » lancée à l’assaut du vieux monde, acharnée à le détruire […] (2015, 175). 

Le solitaire de Ferney, par cet escamotage, donne l’impression que les coups pleuvent de toute part. De plus, l’emploi de ce singulier collectif, « Je suis Légion », est un pastiche machiavélique de Saint Marc : l’apôtre rappelle en effet la réponse que le Diable fit au Christ quand ce dernier lui demanda son nom : « Je m’appelle Légion ».[18] Il était impudent de reprendre ces paroles en se les attribuant. Le mot « testament » encadre le texte, puisqu’on le trouve aussi dans le dernier paragraphe de l’abrégé de la vie de Jean Meslier, au chapitre VI. Cette appellation n’est pas choisie au hasard, comme l’a démontré Alain Sandrier :

Rappelons tout d’abord que le terme de « Testament », repris par l’édition de 1822, pour désigner la version tronquée du Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier est une invention de Voltaire qui apparaît dès les premières éditions. Géniale trouvaille publicitaire, selon l’analyse de R. Desné : le « mémoire » volumineux, ramené aux proportions plus maniables d’un « testament », accuse le pathétique de l’énonciation. Voltaire étend à tout l’ouvrage le dispositif de la lettre d’envoi aux curés du voisinage du texte original. Meslier y dirige son discours avec l’énergie et l’intensité des ultima verba : force indéniable de cette adresse directe de l’auteur à ses destinataires. Le curé ne craint pas d’arborer fièrement cette posture à la barbe de ses confrères […]. (2009, 133).

Voltaire a voulu théâtraliser cette voix sur le point de sombrer, qui avait, chez Meslier, un timbre aussi serein que véhément. Par-là, il détourne un lieu commun apologétique, la conversion à l’article de la mort[19]. Ce dispositif énonciatif lui tient manifestement à cœur dans son combat contre l’Infâme. Ainsi Voltaire, non content de faire des coupes drastiques dans le Mémoire de Meslier, en subvertit également la pensée. On en tient pour preuves les derniers paragraphes de l’Extrait des sentiments, dans lesquels il fait dire à l’instance énonciative « Je finirai par supplier Dieu, si outragé par cette secte, de daigner nous rappeler à la religion naturelle, dont le christianisme est l’ennemi déclaré […] » ou « Qu’on juge de quel poids est le témoignage d’un prêtre mourant qui demande pardon à Dieu ». Une conversion forcée à laquelle feu le curé Meslier ne peut s’opposer. L’imposture est parfaite au point que la majorité des éditions du XIXe siècle[20] s’appuiera sur ce texte fabriqué. 

Cette sélection partisane prend le soin de gommer ce qui dans le Mémoire trouble les pensées politiques et déistes de notre philosophe et le texte proposé à la lecture a été expurgé de la critique du système politique – qui appelle à une révolution avant l’heure[21] – et de la négation de l’existence d’un être suprême, pilier de la religion naturelle à laquelle croit Voltaire. Les réflexions de Meslier ébranlent Voltaire jusque dans ses positions déistes ; le propos radical du texte originel devait donc être infléchi. Marc Hersant propose une interprétation qui met en évidence l’auto-questionnement de Voltaire à ce sujet, et les affres dans lesquelles il est plongé : 

Dans une logique similaire, il est possible de comprendre la réécriture en pamphlet pseudo-déiste du mémoire de Meslier comme une activité dialogique où il s’agit moins de convaincre autrui en faisant servir le curé d’Étrépigny à la propagande voltairienne que d’atténuer pour soi-même le choc représenté par sa lecture : la dimension stratégique, sociale et rhétorique de cette manipulation existe, bien entendu, mais elle n’est ni la plus intéressante, ni la plus profonde. En travaillant le texte de Meslier pour étouffer sa vraie voix, Voltaire opère une tentative de refoulement qui donne à cette voix interdite la puissance dévastatrice d’une obsession des profondeurs. (2015, 125).

Le Mémoire de Meslier revisité par Voltaire n’est donc pas uniquement un jeu d’ombre et de lumière projeté sur le texte : c’est la tentative d’apaiser une crise interne et métaphysique en remodelant la pensée d’autrui pour la vider de ses pierres d’achoppement, en tête desquelles la question du Mal et la conciliation possible avec l’existence d’un Dieu (bon), question qui hante l’auteur car il n’y trouve pas une réponse suffisamment convaincante. 

Il est permis de se demander, en définitive, si un testament n’en cache pas un autre. Cette prosopopée, aussi mystificatrice soit-elle, est le résultat d’un débat intérieur clos, la voix infernale ayant été muselée et les angoisses existentielles (provisoirement) maîtrisées. Le dialogue intérieur auquel se livrait l’auteur, à l’instar des dialogues philosophiques, voit le triomphe momentané d’une seule pensée. L’abrégé voltairien a une vertu thérapeutique ; il s’agissait de neutraliser le poison distillé par l’œuvre originale. Il y fait d’ailleurs allusion dans la lettre au prince de *** : « On en a fait plusieurs petits abrégés, dont quelques-uns ont été imprimés : ils sont heureusement purgés du poison de l’athéisme ». Heureusement pour les futurs lecteurs ou lectrices, pas pour le patriarche, qui se l’était déjà inoculé bien avant. Une « scie voltairienne »[22] à associer à une autre posture récurrente chez l’auteur, celle du moribond, qui ne cesse de dire qu’il est à l’article de la mort (on pourrait presque parler de topos voltairien), souvent pour se justifier ou excuser les silences de la correspondance, mais aussi pour exprimer sa mélancolie. Le pathétique de l’énonciation relevé par Alain Sandrier pourrait être l’écho du vrai pathos d’un auteur au bord de l’abîme, pris de nouveau de vertige en écrivant ces lignes, à l’idée de l’inexistence d’un être suprême, dans l’esprit duquel retentissent encore les derniers mots du Mémoire :

Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde. Les morts, avec lesquels je suis sur le point d’aller, ne s’embarrassent plus de rien, ils ne se mêlent plus de rien et ne se soucient plus de rien. 

Je finirai donc ceci par le rien.

Aussi ne suis-je guère plus qu’un rien, et bientôt je ne serai rien[23].

Il lui faudrait alors à la fois admettre que le Mal est inévitable et qu’il ne peut être ni contenu, ni entravé par une religion naturelle et que la destinée humaine, sortie par hasard du néant, est vouée à y retourner. L’imposture est complètement levée dans les dernières lignes de l’Extrait [] ou Testament de Meslier, l’auteur se dévoilant dans les « ultima verba » de la prosopopée : 

Je finirai par supplier Dieu, si outragé de cette secte, de daigner nous rappeler la religion naturelle, dont le christianisme est l’ennemi déclaré; à cette religion sainte que Dieu a mise dans le cœur de tous les hommes, qui nous apprend de ne rien faire à autrui que ce que nous voudrions être fait à nous-mêmes […] Dieu nous a donné cette religion en nous donnant la raison. Puisse le fanatisme ne la plus pervertir! Je vais mourir plus rempli de ces désirs que d’espérances.

Cette dernière supplique à Dieu apparaît moins risquée dans la bouche d’un curé, certes convaincu d’athéisme, mais à l’heure ultime (et mort au moment de la publication), que dans celle d’un pourfendeur de l’Infâme et de ses rites, toujours vivant. Mais elle ne trompe pas le lectorat érudit de l’époque et permet, en cultivant l’ambiguïté, d’écarter à terme les soupçons d’athéisme pesant sur le philosophe et de réaffirmer son déisme en exaltant la religion naturelle, à laquelle il apporte sa propre définition. On retrouve les maîtres-mots qui le chevillent au corps d’une manière encore plus pressante sur cette décennie : triomphe de la « raison » et lutte contre le « fanatisme ». L’incrustation au cœur de la pensée voltairienne d’un verset célèbre du Nouveau Testament, est un subversif appel à la tolérance : « [au sujet de la religion naturelle] qui nous apprend de ne rien faire à autrui que ce que nous voudrions être fait à nous-mêmes »[24]. Voltaire, dans une démarche socratique, retourne magistralement contre le fanatisme les armes fourbies par le christianisme. Démarche non dépourvue de malice puisqu’il projette sur un Dieu grand horloger ses propres pensées. Deo erexit Voltaire[25]. En définitive, c’est donc moins le testament de Meslier qui est donné à lire que celui du patriarche de Ferney, qu’il lègue à la postérité et l’emploi du pseudonyme, au terme de cette analyse, prend tout son sens.

On le voit, l’imposture n’est pas de la même nature que dans les contes, s’agissant cette fois de modeler la pensée d’autrui à son image, ce qui entraine de facto des postures différentes de lecture. Si dans les petites fictions, le public se laissait duper avec plaisir et en toute conscience, il entre dans le Testament prudemment, mais sans réaliser qu’il s’agit d’un apocryphe. Quand le lectorat érudit en fait le constat, son horizon d’attente est défait et il a le sentiment d’avoir été trompé ; mais cette impression désagréable est tout de suite compensée par la noblesse d’une imposture qui sert non pas les intérêts personnels de l’auteur ventriloque, mais qui se veut plutôt bienfaitrice pour l’humanité. 

III. L’énonciateur anonyme : Voltaire et son double

Le dernier cas de feintise que nous étudierons est celui d’une production voltairienne tardive, dont la dimension testamentaire a d’autres visées : graver dans le marbre une statue littéraire épurée de toutes ses scories[26]. En 1776 paraît, deux ans avant la mort de Voltaire, un Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, etc avec les pièces et les preuves, unique écrit à caractère autobiographique publié du vivant de l’auteur, dont il n’assume cependant pas la paternité. « M. de Voltaire » fait bonne figure dans ce récit factuel à travers le portrait flatteur que dresse de lui un énonciateur anonyme s’exprimant à la première personne et dont l’identité totalement floue s’éclipse de surcroît derrière une fonction, celle d’historien ou de biographe. A priori l’auteur réel est à écarter, puisqu’on parle de lui – de Voltaire donc – à la troisième personne. A priori seulement car la voix de cet historien-historiographe complètement désincarnée, s’attelant à la biographie d’un des hommes les plus célèbres de son époque, apparaît comme une fabrication, comme le masque énonciatif que cette « biographie » faussement académique, parfois presque scolaire dans sa forme, est en réalité une autobiographie, lisible comme « le produit astucieux d’un écrivain qui fut sans doute le plus prestigieux historien français du XVIIIe siècle »[27]

Si l’imposture ne leurre pas ses contemporains, habitués au style voltairien[28], quelques petits rebondissements quant à la paternité de l’œuvre sèmeront le doute dans l’esprit du lectorat moderne. En effet, Jean-Louis Wagnière, dernier secrétaire de Voltaire, prétendra après la mort du philosophe être l’auteur du Commentaire historique proprement-dit et l’inexistence de manuscrits pour cette première partie ne permet pas, selon Nicholas Cronk, de reconstituer la genèse de l’œuvre[29]. Mais pour le critique, « […] il n’existe aucune preuve propre à suggérer que Wagnière est le véritable auteur du Commentaire historique, et le témoignage du texte lui-même, lorsque nous l’examinons de près, confirme clairement que Voltaire en est l’auteur »[30]. Wagnière (l’imposteur ?) écarté, il faut donc s’interroger sur l’énonciateur du Commentaire historique et le percevoir comme une construction du véritable auteur, qui, par bienséance, préfère se dissimuler derrière ce masque. Le soupçon que l’auteur de cette biographie se confonde avec celui dont elle prétend raconter l’existence comme d’un tiers est donc produit par le texte lui-même. La supercherie est efficace. Dès le premier paragraphe, l’énonciateur-personnage adopte la posture du biographe modèle et l’èthos[31] de l’historien[32] est déployé :

Je tâcherai, dans ces Commentaires sur un homme de lettres, de ne rien dire que d’un peu utile aux lettres, et surtout de ne rien avancer que sur des papiers originaux. Nous ne ferons aucun usage ni des satires, ni des panégyriques presque innombrables qui ne seront pas appuyés sur des faits authentiques[33].

Il multiplie les gages de fiabilité en maîtrisant les qualités d’un bon rhétoricien[34] et produit dans ce paragraphe liminaire un discours sérieux, dans lequel on repère les trois règles du discours sérieux énoncées par John Searle : il a l’intention de dire vrai (en écartant les élucubrations des satires et des panégyriques), il peut le prouver (avec des « papiers originaux » et « faits authentiques ») et il a l’air sincère (en tout cas, il s’y engage : « Je tâcherai »). L’énonciateur adhère donc tout à fait à la philosophie de l’histoire[35] de celui dont il doit écrire la biographie littéraire : désintérêt pour le détail ou la rumeur, travail de recherche à partir de documents, recueil de témoignages, …. Ces marques de sérieux convainquent le public que l’auteur et son biographe sont deux personnes distinctes.

Les certifications de vérité abondent dans le début du texte. L’énonciateur assure par exemple pouvoir produire des preuves matérielles de ce qu’il avance – les médailles – et se présente comme témoin auriculaire direct, d’autant plus crédible qu’il tient cette information de l’auteur lui-même : 

Les uns font naître François de Voltaire le 20 février 1694; les autres, le 20 novembre de la même année. Nous avons des médailles de lui qui portent ces deux dates; il nous a dit plusieurs fois qu’à sa naissance on désespéra de sa vie, et qu’ayant été ondoyé, la cérémonie de son baptême fut différée plusieurs mois[36]

Il présente par ailleurs des gages d’objectivité puisqu’il confronte les pièces justificatives sans imposer une conclusion personnelle quand les preuves ne permettent pas de trancher. Il semble en outre obnubilé par la volonté de souligner l’authenticité de ses sources en montrant qu’il en a été le témoin auriculaire ou oculaire direct à de nombreuses reprises : « il nous a dit plusieurs fois », « et il nous a dit plusieurs fois que son père l’avait cru perdu », « Je lui ai entendu dire plus d’une fois », « Nous avons vu une lettre de sa main » « J’ai vu une très-grande quantité de lettres de l’un et de l’autre »[37]. L’énonciateur renforce sa légitimité de témoin en mettant en évidence son degré d’intimité avec l’écrivain et en montrant qu’il détient des informations de première main, ce qui le rend digne de confiance aux yeux du lecteur ou de la lectrice. De plus, le pronom personnel « je », quand il désigne l’énonciateur, est souvent associé aux verbes de perception « voir » et « entendre ». 

Mais il peut aussi se faire le rapporteur de faits dont il a été le témoin indirect ou qui lui ont été confiés : « C’est un des associés qui m’a certifié cette anecdote, dont j’ai vu la preuve sur ses registres »[38]. Le biographe modèle se livre à un travail d’enquête et ne se contente pas de recueillir les dires du témoin : il les vérifie. Sa crédibilité est également corroborée par le fait qu’on lui ait donné accès aux « papiers » de Voltaire, un matériau conséquent bien que désordonné : 

M. de V… ne se prévalait pas même de tant de témoignages authentiques; et ils seraient perdus pour sa mémoire, si nous ne les avions retrouvés avec peine dans le chaos de ses papiers.

Je tombe encore sur une lettre du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères : « C’est un vilain homme que cet abbé Desfontaines; son ingratitude est encore pire que ses crimes, qui vous avaient donné lieu de l’obliger. 7 février 1739. »[39]

L’èthos de l’historien se construit également dans la mise en évidence des aléas de la recherche avec ses difficultés (« le chaos de ses papiers ») et ses heureux hasards (« Je tombe encore […] »), valorisant le travail de bénédictin auquel il se livre. Le sérieux de l’entreprise est rehaussé par le fait que Voltaire lui-même ne se serait pas embarrassé d’autant de « témoignages authentiques »[40], qu’il produit à profusion, en entrecoupant sa relation de textes (le plus souvent des passages de lettres ou des extraits de poèmes) empruntés à l’abondante correspondance voltairienne ou de paroles de l’auteur directement rapportées derrière lesquelles celle du biographe s’amenuise. Le zèle déployé pour aveugler le public va jusqu’à contrefaire les précautions oratoires de l’historien, par la mise en scène d’hésitations :

Comme nous n’avançons rien que sur des preuves authentiques, nous nous bornerons à transcrire ici une de ses lettres à un évêque d’Annecy, dans le diocèse duquel Ferney est situé. Nous n’avons pu retrouver la date de la lettre; mais elle doit être de 1759. [41]

ou par la mention des documents manquants car égarés : « On n’a trouvé de ce commerce épistolaire qu’un seul fragment, que nous transcrivons […] »[42].

Cependant, certaines imprécisions, voire incohérences, siéent mal à la figure d’un biographe au-dessus de tout soupçon d’imposture et viennent fragiliser l’édifice savamment échafaudé. L’énonciateur joue parfois la carte de la complémentarité[43] en passant sous silence certains faits déjà connus du public, comme la fameuse lettre d’invitation à la cour de Prusse écrite par Frédéric II : 

Il était parti après avoir combattu pendant plus de six mois contre toute sa famille et contre tous ses amis, qui le dissuadaient fortement de cette transplantation; mais, sans avoir pris l’engagement de se fixer auprès du roi de Prusse, il ne put résister à cette lettre que ce prince lui écrivit de son appartement à la chambre de son nouvel hôte dans le palais de Berlin, le 23 août; lettre qui a tant couru depuis, et qui a été souvent imprimée[44].

On comprend difficilement pourquoi il fait l’économie de cette lettre, qu’il ne reporte même pas dans la liste des pièces justificatives[45] alors qu’il la cite longuement dans ses deux autres textes autobiographiques[46] comme pièce à charge ; elle fut pourtant déterminante dans la carrière de l’homme de lettres, puisque l’échec de l’aventure berlinoise l’amena à reconsidérer le sens de son existence. Mais il eut été indélicat de la part du véritable auteur du Commentaire historique de ramener sur le devant de la scène de vieilles querelles. À un autre degré d’inexactitude historique, il en est de même des preuves que le biographe postiche prétend détenir sans toutefois les produire, et qu’il évoque vaguement : « Nous avons des preuves que cette plaisanterie fut presque composée tout entière à Cirey »[47]. Il nous faut donc le croire sur parole : où sont les gages de sérieux brandis au début du Commentaire?

Plus révélatrices d’un énonciateur postiche sont les invraisemblances qui viennent discréditer l’énonciateur-témoin car il est peu probable qu’il ait pu être présent … à moins d’être l’auteur lui-même : 

La fameuse demoiselle Clairon y jouait, et montrait déjà les plus grands talents. Mme Denis, nièce de l’auteur, femme d’un commissaire ordonnateur des guerres, ancien capitaine au régiment de Champagne, tenait un assez grand état dans Lille, qui était du département de son mari. Mme du Châtelet logea chez elle; je fus témoin de toutes ces fêtes : Mahomet fut très-bien joué[48].

Cette tragédie fut jouée pour la première fois à Lille en 1741, soit trente-cinq ans avant la publication du Commentaire historique. La présence du biographe semble suspecte. Cette citation exclut également Wagnière, né en 1739 dans le canton de Vaud et dont on peut douter qu’il ait assisté à la représentation, puisqu’il était alors âgé de deux ans. Il en est de même dans la citation suivante, qui rappelle des faits datant approximativement de 1734 : 

Mais ce bon Nonotte, en réglant sa créance sur des injures de théologien et sur des raisonnements de petites-maisons, ne savait pas qu’il y a plus de soixante villes en Europe où le peuple prétend qu’autrefois les juifs donnèrent des coups de couteau à des hosties qui répandirent du sang : il ne sait pas qu’on fait encore aujourd’hui commémoration à Bruxelles d’une pareille aventure; et j’y ai entendu, il y a quarante ans, cette belle chanson […][49].

Les témoignages, dans leur structure et leur narration, ont parfois davantage partie liée avec les mécanismes du souvenir qu’avec la récolte de preuves. Et le « je » du biographe disparaît derrière celui de l’auteur, semant la confusion chez le public. Cela apparaît d’autant plus clairement lors d’erreurs dans l’emploi de pronoms. Le biographe rappelle une anecdote glorieuse, selon laquelle le prince de Conti aurait écrit des vers pour Voltaire. Il poursuit : 

Je n’ai pu retrouver la réponse de l’auteur d’Œdipe. Je lui demandai un jour s’il avait dit au prince en plaisantant : Monseigneur, vous serez un grand poète ; il faut que je vous fasse donner une pension par le roi. On prétend aussi qu’à souper il lui dit : Sommes-nous tous princes ou tous poètes ? Il me répondit : Delicta juventutis meæ memineris, Domine[50].

Les deux premiers « je » renvoient au prétendu historien, qui interroge l’auteur sur la véracité de la rumeur en reprenant les paroles que ce dernier aurait prononcées ; le troisième « je » désigne donc Voltaire. Il est plus difficile d’identifier le « il ». La reprise pronominale désigne Voltaire dans les deux premières occurrences. Mais dans la troisième, « Il me dit », la construction syntaxique pose problème puisque le « il » renvoie d’après le contexte au prince, et non à Voltaire. De ce fait, le pronom complément « me » ne peut désigner que l’écrivain, comme si cet éclat autobiographique lui échappait et qu’il oubliait l’imposture du biographe pour raconter lui-même ce souvenir divertissant. Ces deux derniers exemples sont aussi très empreints du « style voltairien ». Le biographe qui s’était jusqu’alors drapé dignement dans les oripeaux de la neutralité, en affectant une posture de distanciation objective, peine à réfréner le satiriste et son sourire en coin, marque de fabrique de l’écrivain[51].  La dimension carnavalesque de la dernière anecdote, qui revisite le topos du « monde à l’envers », est délicieusement subversive par sa chute. La référence religieuse, empruntée à un psaume, rappelle le repentir du « singe vert »[52] et ses frasques de jeunesse. 

Le public est sensible à ces marques d’humour et au dialogue inattendu avec l’auteur qui se manifeste innocemment au détour d’une phrase : « Il est à croire que dès lors le jeune homme fut déterminé à suivre son penchant pour la poésie. Mais je lui ai entendu dire à lui-même que […] »[53]Quelle preuve plus tangible de cette double construction auctoriale que ce clin d’œil au public? Cette scène doublement burlesque, par l’image qu’elle suggère d’un biographe épiant un Voltaire radotant, afin de lui dérober des informations à son insu est peut-être une clé de lecture du Commentaire historique. Ce mouvement de balancier entre auteur fictif et anonyme de façade et auteur réel révélant par des signes plus ou moins ténus sa présence invite le lectorat à ce balancement entre lecture de surface et lecture plus sagace, « entre les lignes ». Cette oscillation entre scénographie auctoriale et construction bancale d’un énonciateur fictif joue un rôle décisif dans l’élaboration de l’èthos d’un écrivain qui sait – et en tout cas, il s’y attèle – qu’il passera à la postérité, et le Commentaire historique est une tentative ultime de neutraliser les attaques acerbes et dégradantes dont il fut la victime.

Que ce soit pour divertir, pour instruire ou pour polir l’effigie de lui-même qu’il souhaite laisser à la postérité, Voltaire fait voltiger, au gré de sa malicieuse fantaisie, les masques énonciatifs. L’artiste Béat de Hennezel, qui s’était rendu chez le patriarche en 1766, tenta d’en fixer le portrait. Il retint de ses échanges avec celui qui était devenu une célébrité qu’« il alliait à la gravité de Platon les lazzi d’Arlequin ». Et Nicholas Cronk d’ajouter : « Il arrive d’ailleurs à Voltaire lui-même de se décrire comme un Arlequin. Fixer le portrait d’un Arlequin en train d’improviser un lazzo relève évidemment de l’impossible »[54]. Homme de théâtre, acteur et metteur en scène, marionnettiste dans son petit théâtre de Ferney, il est tout à la fois : il tire les ficelles d’une représentation de soi par laquelle il se met en scène sous différentes facettes. L’imposture ne demande qu’à être démasquée et la lectrice ou le lecteur se réjouissent et s’inclinent devant la grande capacité qu’a l’auteur de se réinventer. 


Bibliographie

1. Corpus primaire

VOLTAIRE, Mélanges, éd. Jacques Van Den Heuvel, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1259.

VOLTAIRE, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, etc avec les pièces et les preuves, sous la direction de Nicholas Cronk, OCV, volumes 78 B et C, 2018.

VOLTAIRE, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, etc avec les pièces et les preuves, A Basle, chez les héritiers de Paul Duker, 1776.

MESLIER, Mémoire,  https://archive.org/details/jean-meslier-memoire-religion-2010

2. Corpus critique

AMOSSY Ruth, La présentation de soi : ethos et identité verbale, Presses Universitaires de France, 2010.

ARISTOTE, Rhétorique, présentation et traduction par Pierre ChironFlammarion, 2007.

BARTHES, Roland, « La Mort de l’auteur », Mantéia, n° 5, 1968.

BOOTH Wayne, Rhetoric of fiction, The university of Chicago press, 1967.

CRONK, Nicholas, « Le pet de Voltaire », Open EditionBooks.

GENETTE, Gérard, Fiction et diction, Editions du Seuil, Points essais, 2004.

HAMBURGER, Käte : Logique des genres littéraires, Editions du Seuil, Paris, 1986.

HERSANT, Marc, « Le commentaire historique des œuvres de l’auteur de la Henriade : Voltaire historien de lui-même », Cahiers Voltaire, 2008, p. 73-89.

___« Malheur au détail », Voltaire, l’historien pressé, revue Ecrire l’histoiren4, 2009, p. 15-24.

___ « Un patriarche en représentation : le commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade »Revue Voltaire, 11, 2011, p. 109-120. 

___Voltaire : Ecriture et Vérité, Peeters, Leuven, 2015.  

___ « Voltaire face à Meslier et aux « Lumières radicales » : entre imposture et inquiétude », La Philosophie des Lumières aujourd’hui : bilan et perspectives; actes du colloque, Sousse, 22-24 janvier 2015, dir. Nizar Ben Saad, Mons, Éditions du CIPA, 2015, p. 125-141.

___ « Le conte voltairien : un parasite des textes sacrés », Revue Fééries 16, 2020.

KREMER, Nathalie, Introduction au volume fictions de l’imposture, impostures de la fiction dans les récits de l’Ancien Régime, Actes du colloque de Paris, 12-14 juin 2013, sous la direction de N. Kremer, Y. Tran Gervat et J.-P. Sermain, Paris, Hermann, coll. « La République des lettres », 2016.

MAGNAN, André, « Présence anonyme : comment nommer qui ne signe pas? », Cahiers Voltaire, n° 12 (2013), p. 212-225. 

MAINGUENEAU, Dominique, Problèmes d’ethos, article en ligne, 2002.

___ « l’èthos : un articulateur, édition en ligne : https://doi.org/10.4000/contextes.5772

PATRON, Sylvie, Le narrateur. Introduction à la théorie narrative, Armand Colin, mars 2009.

SANDRIER, Alain, « Une fraude pieuse ou comment le bon sens est revenu à saint Meslier », revue Romantisme n144, juillet 2009.


Notes

[1] André Magnan, in « Présence anonyme : comment nommer qui ne signe pas? », Cahiers Voltaire, n° 12 (2013), p. 212-225.

[2] Voir par exemple la lettre datée du 15 mars 1759 au marquis de Thibouville : « J’ai lu enfin, mon cher marquis, ce Candide dont vous m’avez parlé, et plus il m’a fait rire, plus je suis fâché qu’on me l’attribue » ou celle adressée à M. Vernes : « J’ai lu enfin Candide; il faut avoir perdu le sens pour m’attribuer cette coïonnerie; j’ai, Dieu merci, de meilleures occupations ».  Ce jeu est porté à son paroxysme avec le Dictionnaire philosophique

[3] Lire à ce sujet Marc Hersant, Le conte voltairien : un parasite des textes sacrés, Revue Fééries 16, 2020.

[4] Citée par Sylvie Patron, Le narrateur. Introduction à la théorie narrative, Armand Colin, mars 2009, page 249.

[5] Le jansénisme est une doctrine religieuse particulièrement rigoriste, se développant en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous l’impulsion du Hollandais Jansénius, qui propose une relecture de la thèse de Saint-Augustin. Le succès en France de cette théorie s’explique par une réaction contre certaines évolutions de l’Église catholique et de l’absolutisme royal. Religion austère, elle est enseignée au couvent de Port-Royal dont un des maîtres, Pierre Nicole, affirmait dans Imaginaires : « un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d’une infinité d’homicides spirituels, qu’il a causés en effet ou qu’il a pu causer par ses écrits pernicieux ». Ses adeptes défendent la thèse de la prédestination de l’homme, selon laquelle le salut ne serait pas une question de mérite mais serait accordé aux élus à leur naissance. Ils entrent de ce fait en conflit avec les molinistes (ou jésuites), casuistes, très influents auprès de Louis XIV, qui les compta parmi ses confesseurs. 

Le jansénisme a également des conséquences politiques qui s’étendront au-delà du règne du roi Soleil. Or, L’Ingénu est prétendument écrit par un janséniste notoire et ses premières péripéties se déroulent en 1689, sous le règne de Louis XIV et quatre ans après la révocation de l’édit de Nantes. Mais ce qui marque davantage Voltaire et ce dont il se souvient lors de l’écriture du conte, c’est la bulle papale publiée en 1713, dirigée contre le jansénisme et plus particulièrement contre son fervent et sérieux défenseur, le père Quesnel et ses Réflexions morales. Sous Louis XV, des lettres de cachet se multiplieront pour enrayer l’engouement à l’égard du jansénisme.

[6] Ce que confirme Chamfort quelques années plus tard dans ses Maximes et pensées (publiées à titre posthume en 1795) : « Il semble que, d’après les idées reçues dans le monde et la décence sociale, il faut qu’un prêtre, un curé croie un peu pour n’être pas hypocrite, ne soit pas sûr de son fait pour n’être pas intolérant. Le grand-vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’évêque rire tout-à-fait, le cardinal y joindre son mot ». 

[7] Voltaire, dans ses Lettres à S. A. Mgr le Prince de ***** sur Rabelais et d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la Religion Chrétienne, de 1767, dans Voltaire, Mélanges, éd. Jacques Van Den Heuvel, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1259.

[8] Marc Hersant, Voltaire face à Meslier et aux « Lumières radicales » : entre imposture et inquiétude, La Philosophie des Lumières aujourd’hui : bilan et perspectives; actes du colloque, Sousse, 22-24 janvier 2015, dir. Nizar Ben Saad, Mons, Éditions du CIPA, 2015, p. 125-141.

[9] Se reporter par exemple au Mémoire de Meslier, les chapitres LIXLXIII et LXVI.  

[10] Voltaire, dans ses Lettres à S. A. Mgr le Prince de ***** sur Rabelais et d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la Religion Chrétienne, de 1767, dans Voltaire, Mélanges, éd. Jacques Van Den Heuvel, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1260.

[11] L’affaire Calas, à l’origine du Traité sur la Tolérance publié par Voltaire en 1763, se déroula de 1761 à 1765 à Toulouse, sur un fond de querelle religieuse. Le protestant Jean Calas fut injustement accusé d’avoir assassiné son fils, récemment converti au catholicisme. Le père fut condamné et exécuté. Voltaire, horrifié et sensible à l’état de dénuement auquel la famille Calas fut réduite à la mort de ce dernier, prit fait et cause pour Calas et mit tout en œuvre pour l’innocenter et le réhabiliter.

[12] Lettre du 1er mai 1763 à Claude Adrien Helvétius : « On m’a envoyé ces deux extraits de Jean Melier. Il est vray que cela est écrit du stile d’un cheval de carrosse, mais qu’il rue bien àpropos! et quel témoignage que celuy d’un prêtre qui demande pardon en mourant d’avoir enseigné des choses absurdes et horribles! Quelle réponse aux lieux comuns des fanatiques qui ont l’audace d’assurer que la philosophie n’est que le fruit du libertinage ! », Correspondence and related documents, definitive edition by Theodore Besterman, XXVI, February-september 1763, letter D 11183, The Voltaire Foundation, 1973.

[13] Voltaire, dans ses Lettres à S. A. Mgr le Prince de ***** sur Rabelais et d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la Religion Chrétienne, de 1767, dans Voltaire, Mélanges, éd. Jacques Van Den Heuvel, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1259.

[14] L’expression Lumières radicales ou Radical Enlightment est empruntée à l’historienne américaine Margaret Jacob dont l’ouvrage The Radical Enlightenment : Pantheists, Freemasons and Republicans (1981) a souligné l’importance dans l’avènement de la révolution. Elle renvoie à une thèse portée par Margaret Jacob et Jonathan Israël qui regroupent sous cette appellation des penseurs des XVIIe et XVIIIe siècles – parmi lesquels s’inscrit Jean Meslier – jugés extrêmes par leur critique radicale de la monarchie absolue de droit divin et de ses mécanismes. Pour plus de précisions, on peut consulter Les Lumières radicales, la philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750) de Jonathan Israël. 

[15] Pour comprendre l’influence de la pensée de Meslier chez les socialistes et les communistes européens comme russes et leur réappropriation à la fin des XIXe et XXe siècles, lire l’article « la Fortune de Jean Meslier en Russie et en Union Soviétique » de Marian Skrzypek (1971; article disponible en ligne) ou l’ouvrage de Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé athée et révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre, Editions Aden, 2008. 

[16] À titre indicatif, l’édition en ligne du Mémoire (https://archive.org/details/jean-meslier-memoire-religion-2010) de Meslier comporte 607 pages alors que l’Extrait des sentiments de Jean Meslier […] de Voltaire n’en comporte que 47 dans l’édition de la Pléiade, Voltaire, Mélanges, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 454 à 501. 

[17] Périphrase consacrée pour désigner Voltaire, qui se retire à Ferney à la fin des années cinquante et pratiquement jusqu’à sa mort.

[18] Citation rappelée par Voltaire lui-même dans la Bible enfin expliquée, « sommaire historique des quatre évangiles », 1776.

[19] L’histoire est riche de nombreuses anecdotes d’athées convertis « in extremis » sur leur lit de mort; ces conversions sont tantôt réelles, le mourant en faisant la demande, tantôt fabriquées par la famille, afin d’éviter au mort l’excommunication ou le refus d’être enterré en terre consacrée.

[20] Alain Sandrier, « Une fraude pieuse ou comment le bon sens est revenu à saint Meslier », revue Romantisme n144, juillet 2009.

[21] Se reporter par exemple aux chapitres LIV : « Tyrannie des rois de France, dont les peuples sont misérables et malheureux », LVI (sur le despotisme de Louis XIV) : « Ce que dit un auteur sur le gouvernement tyrannique des rois de France » du Mémoire de Meslier en contradiction avec Le siècle de Louis XIV

[22] Pour reprendre une expression de Marc Hersant dans Ecriture et Vérité,  qui mettait en évidence la compulsion de répétition de Voltaire, quand un sujet lui tient à cœur.

[23] Mémoire de Meslier, dernières lignes de la « conclusion de tout cet ouvrage ».

[24] Paraphrase d’un thème récurrent dans le Nouveau Testament. Voir par exemple Matthieu 7, verset 12, ou Luc 6, verset 31 ou encore l’épître de Saint-Paul aux Galates 5, verset 14. La valorisation de l’altruisme et la mise en exergue de sa générostié naturelle est également un leit-motiv voltairien, particulièrement dans le Commentaire historique.

[25] Littéralement « A Dieu a élevé Voltaire ». Inscription gravée sous le clocher de la chapelle que Voltaire fit construire pour les paroissiens de Ferney. Elle choqua beaucoup, en partie parce que le nom de Voltaire occupait un espace plus grand que celui de Dieu.

[26] Pour plus de précisions sur les motivations à l’œuvre, consulter l’article de Marc Hersant, « Un patriarche en représentation : le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade », Revue Voltaire 11, p.109-120, 2011. 

[27] Citation de Marc Hersant dans « Le commentaire historique des œuvres de l’auteur de la Henriade : Voltaire historien de lui-même », Cahiers Voltaire, 2008, p. 73-89.

[28] Il suffit pour s’en convaincre de lire la correspondance de madame Du Deffand ou celle de Walpole.

[29] Voir Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(I). Introduction et dossier, OCV, 78B, p. 6 et 7. 

[30] Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(II). Texte et annotations, OCV, 78C, p.22. 

[31] Nous choisissons l’orthographe « èthos » à l’instar de l’helléniste Frédérique Woerther, L’èthos aristotélicien, Genèse d’une notion rhétorique, librairie philosophique Vrin, 2007.

[32] En tout cas selon l’idée que s’en fait Voltaire. 

[33] Ibidem, p. 11.

[34] Même si Voltaire a parfois eu la dent dure à l’égard d’Aristote, il l’a lu et son éducation classique en est empreinte. On retrouve par exemple dans ce paragraphe les qualités énoncées par le philosophe grec dans l’Éthique à Nicomaque : celles d’un orateur vertueux, prudent et bienveillant.

[35] Rappelons que c’est Voltaire lui-même qui est à l’origine de cette philosophie moderne de l’histoire (dont nous sommes les héritiers), qu’il défend dans des ouvrages historiques tels lEssai sur les Mœurs et le Siècle de Louis XIV. 

[36] Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(II). Texte et annotations, OCV, 78C, p. 11.

[37] Ibidem, p. 11, 14 et 17, 18, 57. 

[38] Ibidem, p. 20.

[39] Ibidem, p. 25. 

[40] Cette affirmation fait tiquer, et surtout l’amnésie voltairienne. Voltaire avait la digestion lente à l’égard de ses détracteurs et pouvait faire montre d’une mémoire sans faille; c’était le cas pour l’abbé Desfontaines, dont il est question dans cet extrait.

[41] Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(II). Texte et annotations, OCV, 78C, p. 74.

[42] Ibidem, p. 43.

[43] À ce sujet, lire l’étude intéressante de Marc Hersant dans le chapitre « Fictions historiographiques, pastiches et parodies du discours de l’histoire », Ecriture et Vérité, p. 290 et suivantes, La République des Lettres 61, Peeters, Leuven, juillet 2015.

[44] Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(II). Texte et annotations, OCV, 78C, p. 62.

[45] Lettre restituée dans l’OCV.

[46] Les Lettres de Monsieur de Voltaire à Madame Denis, de Berlin ou Paméla et Les Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même.

[47] Ibidem, p. 28.

[48] Ibidem, p. 35.

[49] Ibidem, p. 125.

[50] Ibidem, p. 16-17. La citation latine, empruntée au psaume 24, verset 7, signifie : « Ne vous souvenez pas de mes erreurs de jeunesse, Seigneur ». 

[51] Et nous ne résistons pas à raconter une historiette rappelée dans le Commentaire historique qui illustre ce mouvement contradictoire de l’auteur qui s’absentise ou feint de s’effacer tout en se rappelant au bon souvenir du public, au point que ce dernier peut difficilement l’oublier : « Le jeune homme, qui était fort dissipé et plongé dans les plaisirs de son âge, ne sentit point le péril, et ne s’embarrassait point que sa pièce réussît ou non : il badinait sur le théâtre, et s’avisa de porter la queue du grand prêtre, dans une scène où ce même grand prêtre faisait un effet très-tragique. Mme la maréchale de Villars, qui était dans la première loge, demanda quel était ce jeune homme qui faisait cette plaisanterie, apparemment pour faire tomber la pièce : on lui dit que c’était l’auteur ». Cette anecdote est à mettre en relation avec Voltaire en Arlequin, dont nous parlerons par la suite.

[52] Le prince de Conti devait son surnom à son physique peu avantageux. Il était aussi connu pour ses frasques de jeunesse et sa cruauté, notamment à l’égard de son épouse, dont il était le mari  à la fois infidèle et jaloux. 

[53] Nicholas Cronk, Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, etc.(II). Texte et annotations, OCV, 78C, p. 14. C’est nous qui soulignons.

[54] Nicholas Cronk, « Le pet de Voltaire », Open EditionBooks.

Pour citer cet article:

Wilmet-Duveau, Muriel. 2024. « Voltaire, l’imposteur: éclipses auctoriales et esprit frappeur », Postures, Dossier « Impostures », no. 40. En ligne, revuepostures.uqam.ca/?p=9514 (Consulté le xx / xx/ xxxx).